Que font-ils aujourd’hui, ces harragas ? Où se sont-ils réfugiés ? S’en sortiront-ils, ou seront-ils expulsés du sol français ? Autant de questions qui ont subitement rebondi sur la scène de l’actualité au lendemain de l’adoption de ladite loi, provoquant dans leur sillage une vague d’incertitudes quant à l’avenir.
C’est avec inquiétude, pour la majorité, et espoir, pour la minorité, que les Tunisiens se trouvant en situation irrégulière en France ont accueilli la fameuse loi dite «Loi immigration» adoptée, la semaine dernière, par le Sénat et l’Assemblée nationale français. Il est vrai que cette loi présentée et crânement défendue par le gouvernement se caractérise par un net durcissement des droits des étrangers, particulièrement en ce qui concerne le droit du sol, le regroupement familial, l’accès aux aides sociales et la régularisation de la situation des travailleurs sans papiers.
A bien y voir, il n’y a pas photo : par cette loi-coup de force, les autorités françaises entendent mettre en place tous les moyens pouvant freiner l’extraordinaire ruée des migrants qui ne fléchit pas. Et l’on sait que, parmi ceux-ci, on compte des milliers de Tunisiens ayant rallié l’Hexagone, via l’incontournable île de Lampedusa. Que font-ils aujourd’hui, ces harragas ? Où se sont-ils réfugiés ? S’en sortiront-ils, ou seront-ils expulsés du sol français ? Autant de questions qui ont subitement rebondi sur la scène de l’actualité au lendemain de l’adoption de ladite loi, provoquant dans leur sillage une vague d’incertitudes quant à l’avenir.
Fortunes diverses
D’après les contacts qu’on a eus, à cette occasion, avec quelques-uns de nos sans-papiers en France, se dégage une unanimité : entrevoir le bout du tunnel n’est pas pour demain. «Cette loi ajoute à nos malheurs», se plaint l’un d’eux, un jeune homme originaire de Zarzis qui affirme travailler un mois sur six, si ce n’est plus. «C’est que, lâche-t-il, on est ici à la merci de l’humeur du patron qui peut, à tout moment, vous mettre à la porte et refuser de vous délivrer le bulletin de paie, une pièce essentielle pour l’accomplissement des formalités de régularisation de votre situation de séjour».
Pour un autre, «il est anormal que la nouvelle loi nous impose cette implacable condition de résider en France depuis au moins trois ans et d’avoir en même temps une activité salariale d’au moins douze mois sur deux ans, au moment où la plupart des employeurs font comme bon leur semble avec les sans-papiers, et en toute impunité SVP». Ali n’est pas en reste. «Chaque fois, dit-il, que je demande à mon patron de me faire bénéficier, au vu de mes loyaux services, d’un contrat CDI (contrat à durée indéterminée) pour régulariser ma situation, il refuse catégoriquement, s’il ne se met pas ensuite à me menacer de licenciement purement et simplement. Vous savez, en réalité, on n’y peut rien et il n’y a pas 36 mille solutions, car ou on travaille et subit, ou alors bonjour le chômage et la misère».
De même, Salem, jeune de 28 ans, est lui aussi inconsolable. «Vous vous imaginez, s’écrie-t-il, même l’accès aux aides sociales et humanitaires n’a pas échappé aux foudres de la nouvelle loi qui l’a conditionné uniquement pour les étrangers qui ne sont pas ressortissants de l’Union européenne, alors que cet accès était, jusque-là, ouvert à tous les étrangers, toutes nationalités confondues».
En revanche, on a constaté que la nouvelle loi n’a pas donné des frissons à d’autres sans-papiers tunisiens. «Moi, 30 ans, je n’ai jamais voulu compliquer les choses comme le font malheureusement certains de mes compatriotes. Étant en situation illégale en France depuis voilà quatre ans, je ne faisais que travailler, tête baissée. A telle enseigne que quand on me virait, je ne bronchais même pas. Car, en réalité, c’est moi qui avais cherché l’aventure en débarquant ici sans documents, sans contrat. Ma patience et ma correction m’ont, au bout du compte, récompensé, puisque j’ai achevé toutes les formalités administratives qui m’ont permis l’obtention du titre de séjour et l’accès aux aides sociales et médicales», explique Salah. Et notre interlocuteur de conclure, en assurant que «de nombreux Tunisiens ont fait la même chose que moi, d’où l’espoir de voir les autres nous emboîter le pas, pour leur propre intérêt».
Les derniers à le savoir !
Alors que la majorité de nos sans-papiers sont aujourd’hui englués dans l’anxiété, de peur de subir, un jour, les conséquences fâcheuses du non-respect de ladite loi, il est à croire que celle-ci n’est pas de nature à inquiéter outre mesure la frange des trafiquants de drogue tunisiens sévissant dans l’Hexagone. Ces derniers, on le sait, sont dans la clandestinité comme un poisson dans l’eau, ayant maille à partir avec la police et ne se souciant guère de ce qui se passe dans leur environnement.
Repris de justice au casier pénitentiaire sombre pour la plupart d’entre eux, incorrigibles mais pas imbéciles pour un sou, ils sont persuadés qu’aller effectuer les formalités de régularisation de leur situation équivaut à un périlleux saut dans l’inconnu qui pourrait leur coûter une énième peine de prison, si ce n’est un renvoi dare-dare au bercail.
C’est pourquoi ils continuent, comme si de rien n’était, de s’adonner à leur jeu préféré de dealers chargés d’écouler des quantités de stupéfiants à leur fidèle clientèle, contre… euros sonnants et trébuchants. Ce «rite quotidien», ils semblent, mine de rien, s’y plaire, n’en déplaise à la nouvelle loi !